
HUBERT FELIX THIEFAINE
Réserver ma placeSTRATÉGIE DE L' INESPOIR
Il y a quelque chose de réjouissant et de profond à écouter le 17ème album d'Hubert Felix Thiéfaine. Pourquoi? Parce que, sans rire, de manière remarquable et émouvante, la promesse du 16ème a été tenue et au-delà.
promesse que ce Thiéfaine , remis à neuf, est puissant et plus riche que jamais et que l'avenir, et le nôtre avec lui, est ouvert et plein, avec raison et sans concession. Les mots, les colères, les poésies, le rock, les rages et les chemins que, depuis plus de 40 ans Thiefaine nous offre, demeurent. Comme nos vies passées.
Mais on a envie, avec cette " Stratégie de l'Inespoir ",d'aller, comme Thiéfaine, plus fort et dense et heureux vers demain, lui l'artiste, nous les femmes et les hommes. Quand je l'ai rencontré, à La Vieille Grille (un joli lieu parisien de ses débuts),entre Mouffetard, Panthéon et Grande Mosquée ,il venait juste, avec Lucas, son fils, qui a écrit les arrangements et coréalisé l'album, de finir le travail. Restait à trouver le titre. Hubert souriait: " Je fais l'album suivant avec tous les titres auxquels je pense. " Et, pour la première fois, finalement, quelques jours plus tard, il a opté pour le titre d'une des chansons, celui signé avec les compositeurs de " La Ruelle des Morts ".
Dans " Stratégie de l'Inespoir, en 4 vers, Hubert dit son état, sa vie sans chimie, ce temps en plus qui lui est donné, où chaque instant compte, à commencer par celui de la musique du silence de la forêt, du côté de Dole. Dans tout l'album, pas dupe du temps perdu d'avant, Hubert reste fidèle à ce public innombrable qui le connait, on pourrait dire " personnellement ". Et Hubert approfondit aussi la relation nouvelle avec ceux à qui " Suppléments de Mensonge " a fait saisir " leur " temps perdu par rapport à lui. En un mot, ceux qui l'ont découvert en 2011. A tous égards, ce 17ème album est thiefainien. Il est aussi toujours aussi fort et sans compromis et il est calme et, allez, serein. En 2011, il disait (à Rolling Stone): "...Mais on peut essayer d'être plus flamboyant, d'aller vers plus de joie. " Et bien, c'est exactement cela, Hubert, ce que vous faites, ce que vous vivez et nous donnez, ici, à partager. Hubert ouvre l'album " En remontant le fleuve ". " Je me suis mis à l'écriture de quelques-unes de ces chansons dès mai 2011, comme par peur du succès. "
Et l'album nous vient en cette fin 2014, trois ans plus tard, avec trois années de vie dont Hubert a été plus maître, du lever au coucher. Hubert, lui, utilise richement ce temps, ces milliers d'heures nouvelles et libres que lui a données la santé, maîtrisée et recouvrée. " J'élargis le hublot pour laisser entrer le soleil. J'ai en moi de la grisaille et des brumes d'automne, mais en même temps des envies de ramener des couleurs plus vives. " Et cette formule dite en souriant: " J'ai amélioré ma façon de peindre. ". Il dit fort les tourments de l'enfance et les marques de l'éducation en général dans " Résilience zéro ", signé avec Armand Méliès).
Mais avec " Angélus ", créé avec Yan Péchin, Hubert évoque des souvenirs moins torturés " la fraicheur d'une église au mois d'aout et le côté protecteur des voûtes romanes. " On dirait qu "Angelus " sent bon le Jura: " Je me réveille vers 7 ou 8h. J'ai l'énergie. Deux ou trois heures d'écriture et de guitare. Un peu de sport et puis la forêt... Poétique et rude, " Amour désaffecté " signée Thiéfaine et Nataf, fait l'état des lieux d'un amour qui n'est plus. Et évoque, du coup, les variations des Stones et de Dylan sur leur " It's all over now " respectifs. Plus loin, il ajoute: "Ma relation avec Dylan et Ferré est aujourd'hui simple et naturelle. Je les revisite tranquillement comme un petit salut. Je sais quelle est leur personnalité et je sais quelle est la mienne. " Avec ce souvenir précis: du jour où " j'ai fini " L'ascenseur de 22h43? avec la conviction que je venais de trouver mon propre style. " Avec " Médiocratie ", il va au-delà du reflet des réseaux sociaux, il regarde le politique et ses acteurs.
Et cite Stefan Zweig de mémoire: " celui qui s'est donné à la politique ne s'appartient plus et doit obéir à d'autres lois qu'aux lois sacrées de sa nature. "
En un mot, on doit se fondre dans le destin exceptionnel qu'implique la Responsabilité. Et Hubert cite Elisabeth 1er d'Angleterre et son destin solitaire et exigeant, décisif pour son pays. " Même si certains poètes comme Lamartine, Léopold Senghor ou Vaclav Havel ont réussi à faire passer de façon exemplaire des réformes importantes, je pense que l'engagement politique n'est pas bénéfique à la création artistique.
S'engager pour tel ou tel, c'est se priver de la totale liberté, nécessaire à l'artiste ". Ainsi, avec " Retour à Célingrad " (écrit en l'été 2011 avec Julien Perez), il redit combien cette folle écriture célinienne l'habite. Et dans " Karaganda/Camp 99? il souligne l'aveuglement des Sartre et Aragon, au contraire de Céline ou d'Orwell visitant l'URSS des années 30. Avec Cali, Hubert a écrit " Lubies sentimentales ". Absolument beau. " Oui, j'avais envie de faire du joli " dit-il en souriant. Avec Méliès encore, c'est " Fenêtre sur désert ": " Armand sait mettre le voile de brume sur l'impudeur. " Enfin, dans ce 17ème album, " parce que l'artiste est un observateur " Hubert (avec Jeanne Cherhal ) dans une grâce profonde décrit les grâces fragiles de belles femmes entre elles à "Mytilène Island ". Hubert nous dessine aussi une glissante fin de vie dans " Toboggan, un clin d'œil au Helter Skelter de McCartney...mais avec plus de profondeur dans le texte. Et il termine cet album avec son adaptation du Father and Son de Cat Stevens, un vieux projet auquel avec ce titre, avec cette collaboration, Hubert et Lucas ont donné corps. "
Mais maintenant, je connais la route qu'il me reste à faire, la route que j'ai à faire. " Ce sont les derniers mots d'Hubert, tout à la fin de ce 17ème Thiéfaine.